Article mis à jour le 22 Août 2018
Quand la littérature parle de l’entreprise et inspire le community management
Le roman italien Cordiali saluti (2005) d’Andrea Bajani parle de la vie (et de la mort) en entreprise, de management et du rapport au travail. Il m’a inspiré une réflexion sur le community management et les stratégies de publication sur les réseaux sociaux.
Manipulation dans la communication et culture d’entreprise
Dans Cordiali saluti (« Cordialement »), le narrateur, employé d’une firme qui « épure » à tout va, est chargé de rédiger des lettres de licenciement. Il manifeste à travers cette tâche ingrate de réelles compétences de rédacteur, usant d’une plume romanesque, d’une pseudo-empathie quelque peu perverse et d’une forme de cynisme qu’on suppose au moins en partie inconscient. De fait, le personnage se révèle d’une poignante humanité à mesure que se déroule le fil du drame dans lequel il va se retrouver impliqué malgré lui.
Un jour, sous prétexte de modernité et de « pureté », le directeur du personnel annonce aux employés que dorénavant, chacun devra n’avoir qu’une toute petite (chaque jour plus petite) boîte d’affaires personnelles et changer de poste de travail régulièrement, celui-ci devant être aussi dépersonnalisé que possible. Un autre jour, un consensus impose de s’habiller et de se comporter de manière ultra-décontractée tous les vendredis, pour permettre aux personnalités individuelles de s’exprimer et révéler la grande fraternité qui relie les employés, par-delà les contingences professionnelles…
Le livre évoque un peu le théâtre de l’absurde, un peu celui de la cruauté. Il décrit l’Entreprise comme une jungle dans laquelle seuls survivent ceux qui sont capables de souplesse et d’une grande capacité d’adaptation au travail – mais qu’implique cette hyper-flexibilité, et jusqu’où va-t-elle ?
De la flexibilité à la suradaptation
Le travail en open space et les espaces de coworking se sont généralisés, ainsi que l’esprit startup, en passe d’être considéré comme condition sine qua non de réussite professionnelle, pour les entrepreneurs comme pour les autres (cf. la tendance à l’intrapreneuriat). Volonté réelle de créer des espaces de travail collaboratifs, propices à l’échange et à l’émergence d’idées nouvelles (mais pas à l’intimité) ; ou obsession de jeunisme doublée d’une tendance au dégagisme ; ou encore volonté moins glorieuse d’optimiser le budget locatif ; on peut s’interroger sur les motivations et la pertinence de ces plus-si-nouveaux modèles donnés comme universels, qui ont pour effet secondaire de rendre toujours plus floue la frontière entre vie professionnelle et vie privée.
On peut s’étonner aussi d’entendre parfois des seniors promouvoir avec passion des valeurs néo-entrepreneuriales qui ne sont pas vraiment de leur génération ni de leur culture. Il est vrai que le monde de l’entreprise n’aime pas les cheveux gris…
Beckett et Ionesco ne sont pas loin dans cette culture de l’entreprise qui passe par des réseaux que l’on rejoint surtout pour « faire du réseau » et dans cette volonté de rassembler dans des lieux ou des structures dont le centre est en réalité peu lisible.
Repenser le réseau et la communauté pour un community management qui ait du sens
Comme le coworking ou la startup attitude, les réseaux sociaux et le community management font partie du champ lexical de l’entreprise 2.0. Il peut être utile de rappeler que dans « réseaux sociaux », il y a le mot « social », qui parle de relations, de vivre et de faire ensemble ; et que dans « community management », il y a « communauté » …
Construire et animer une communauté ne peut se résumer à un acte commercial. Pour développer un réseau, que ce soit sur internet ou localement, il faut s’intéresser aux autres – et encore, ce « il faut » est lui-même un peu inapproprié, dans le même sens où Daniel Pennac a pu écrire du verbe « lire » que, comme le verbe « aimer », il échappait à l’impératif (Comme un roman, 1992).
Le community management, pour générer des adhésions et, par la suite (par la suite seulement), des conversions, doit être géré d’une manière relativement désintéressée, sous peine de confondre support de communication et produit de consommation, et de générer un effet opposé à l’engouement espéré.
Que partagez-vous vraiment avec votre communauté sur les réseaux sociaux ?
Une stratégie de publication sur les réseaux sociaux devrait inclure une bonne proportion de contenu « gratuit », c’est-à-dire sans enjeu marketing direct, juste intéressant pour l’audience concernée, qu’il est évidemment nécessaire de connaître (d’où l’utilité des outils de mesure d’audience comme Google Analytics).
Si la régularité et la fréquence de publication sur les réseaux sociaux ont leur importance, il ne s’agit pas non plus d’arroser systématiquement tous les médias avec des contenus moyennement intéressants, voire opportunistes (utilisation abusive des hashtags tendance, suroptimisation SEO, etc.).
La surabondance de contenu peu pertinent, loin de renforcer votre présence sur internet, pourrait au contraire amener les internautes à se désabonner de vos flux. Pour illustrer ce propos, nous conclurons sur un extrait de Comme un roman, de Daniel Pennac, que l’on pourrait transposer au community management :
« Produit d’une société hyperconsommatrice, le livre est presque aussi choyé qu’un poulet gavé aux hormones (…) Le poulet aux hormones à la croissance instantanée n’est d’ailleurs pas une comparaison gratuite si on l’applique à ces millions de bouquins « de circonstance » qui se trouvent écrits en une semaine sous prétexte que, cette semaine-là, la reine a cassé sa pipe ou le président perdu sa place.
Vu sous cet angle, le livre, donc, n’est ni plus ni moins qu’on objet de consommation, et tout aussi éphémère qu’un autre : immédiatement passé au pilon s’il ne « marche pas », il meurt le plus souvent sans avoir été lu. »
Vous aimez le poulet aux hormones ?
Je vous souhaite un beau mois d’août !
Suscitez l'adhésion
Vous hésitez sur le ton à adopter pour communiquer efficacement auprès de vos employés ?
Vous voulez développer votre présence sur les réseaux sociaux ?
Vous avez besoin de conseils pour définir votre stratégie de marketing de contenus ?
« Chaque jour un bureau différent. Chaque matin, dit [le directeur du personnel], vous prendrez votre petite boîte et vous partirez à la recherche d’un nouveau bureau où habiter la journée. Chaque jour nous prendrons notre boîte toujours plus petite et nous partirons toujours plus purs à la recherche d’un espace où reprendre notre activité productive, toujours plus en tension vers l’absolu. Hoteling, répète-t-il, un mot salvateur. Le hoteling est pureté et efficacité, propreté, hygiène et rapidité. Le hoteling, c’est l’auberge, avec les savonnettes et le lit toujours fait. Sur le mur est écrit Hoteling = bonheur individuel = bonheur collectif = augmentation de la productivité. Très chers amis, conclut-il, courez vous préparer pour votre chemin de purification, courez vous libérer de vos biens matériels. Préparez avec soin votre petite boîte d’usage quotidien, votre valise avec le strict nécessaire. Allez, le voyage va commencer. »
Cordiali saluti d’Andrea Bajani, éd. Einaudi, 2008, pp. 43-44
Une idée ?!
Vite...
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