HistoPad : le numérique au service de la culture à Avignon

J’ai testé l’HistoPpad au Palais des Papes à Avignon à l’occasion des Journées du Patrimoine, le week-end dernier. Histopad est un dispositif numérique au service de la culture. C’est une tablette qui permet une visite en réalité augmentée des sites historiques.

L’HistoPad, ça se présente comment ?

A l’entrée, une équipe de jeunes femmes (un exemple de médiation culturelle numérique ?) nous remet un kit composé d’une tablette et d’un casque avec de gros écouteurs assez couvrants qui isole du bruit environnant (ce qui est bien pour entendre l’enregistrement audio mais empêche d’entendre ce que les autres disent). Une sangle permet de porter la tablette autour du cou.

Un audioguide pour commenter la visite du Palais des Papes

La tablette ne diffuse pas toujours des images. Parfois le dispositif diffuse juste un enregistrement audio – en fait, un audioguide. Ce commentaire change automatiquement lorsqu’on se déplace, en fonction de la zone où l’on se trouve. La tablette réagit à un signal qui entraîne le chargement et la diffusion automatiques de l’enregistrement correspondant.

Inconvénient : parfois l’enregistrement change avant que l’on ait eu le temps d’écouter l’intégralité du commentaire. Ainsi, j’ai eu beau marcher lentement, je n’ai pas réussi à entendre tout le commentaire correspondant à la traversée de la cour d‘honneur. De ce fait, le passage à l’enregistrement suivant se fait de manière abrupte et on est un peu frustré de passer à côté d’une partie des informations.

Des reconstitutions historiques en 3D du Palais des Papes

Dans certaines pièces, on est invité à passer une « porte du temps ». Cela se fait en scannant une sorte de flash code qui a la forme d’une pièce d’or posée sur une borne au milieu de la pièce. Une fois cette porte scannée, une reconstitution historique en 3D correspondant à cette salle s’affiche, accompagnée de l’audioguide correspondant.

En se déplaçant dans la pièce et en changeant l’orientation de la tablette, on peut « se promener » dans une restitution en 3D des décors des murs, des plafonds, du sol et de l’ameublement supposé de la pièce « à l’époque ». La pertinence historique de ces reconstitutions est sans doute discutable mais cela donne quand même une idée de l’état des lieux au XIVe siècle. Du point de vue pédagogique, pour initier des enfants où des néophytes à l’histoire de l’art et à l’histoire tout court, c’est assez intéressant. Toutefois l’historien d’art restera sans doute un peu sur sa fin. Il est vrai que la volonté annoncée de ce dispositif est une « vulgarisation de la connaissance moderne et efficace ». On peut regretter une certaine superficialité de la « connaissance » qui est ici partagée – l’accessibilité à un vaste public est-elle à ce prix ?

L’Histopad séduira certainement les enfants. La principale raison de ce succès auprès des plus jeunes ne sera peut-être pas l’intérêt culturel ou historique. L’Histopad, comme tous les appareils connectés, a un côté ludique. Cet aspect est largement exploité ici, par le biais d’une chasse au trésor : dans les différentes reconstitutions en 3D des salles du Palais des Papes se cachent des pièces d’or. Pour les trouver, il faut « manipuler » des objets d’art ou d’artisanat, dont les différentes parties sont nommées et parfois commentées lorsqu’on clique dessus. Finalement c’est ce que je trouve le plus intéressant du point de vue pédagogique car cela permet de découvrir des objets et des usages de la vie au XIVe siècle.

Des reconstitutions historiques doublement virtuelles

Un film diffusé dans la salle du conclave explique les difficultés rencontrées par l’équipe en charge de ce projet pour décider de l’état des lieux à restituer en réalité augmentée. Il a fallu évidemment faire des choix. On peut reprocher une certaine uniformité des décors. J’ai trouvé particulièrement intéressant de pouvoir visualiser le mobilier (il ne reste presque rien du mobilier en bois de l’époque médiévale) et les accessoires, la possibilité de voir comment étaient disposés les plats, ce que l’on servait à table (du moins, à la table des puissants).

Très édifiant aussi le film diffusé dans la salle du conclave. Il explique que la confrontation entre des sources artistiques, littéraires et scientifiques a permis de formuler un certain nombre d’hypothèses plausibles. Il précise bien que ces décors restent virtuels. Madame Dominique Vingtain, conservatrice du Palais des Papes, explique dans le film que le Palais des Papes au 14e siècle, ça n’existe pas. Il y a des états différents, à différents moments de l’Histoire. Il a donc fallu faire des choix déjà pour décider du moment et de l’état de référence pour chaque pièce.

Un dispositif qui peut encore être amélioré pour mettre vraiment le numérique au service de la culture

L’ensemble de la démarche est passionnant et le résultat plutôt réussi même si, clairement, il peut être amélioré. A l’occasion des Journées du Patrimoine, seule une portion de la visite du Palais des papes était proposée, à titre expérimental (j’ai été un peu déçue de ne pas voir la reconstitution de la Grande Chapelle). L’Histopad est censé remplacé complètement l’audioguide à partir du 21 octobre. Il sera fourni d’office pour toute visite du Palais des papes, le prix du billet passant de 11 à 12 € (actuellement le billet est à 11 € et la location de l’audioguide, en sus, est de 2 €).

J’émets quelques réserves concernant le côté ludique et la vulgarisation, qui à mon avis prennent un peu trop d’importance dans le dispositif et limitent la portée culturelle du projet. Le Palais des Papes est un lieu particulièrement riche d’art et d’histoire. Quand on est, comme moi, passionné de culture autant que de numérique, on peut attendre un peu plus (d’information, d’enseignement, de découverte historique) d’un dispositif comme l’Histopad, qui représente un investissement conséquent pour la ville d’Avignon.

Je crains aussi que le dispositif n’isole un peu trop le visiteur de son environnement réel. D’une part, à trop regarder l’écran, on risque d’oublier d’admirer l’état actuel du Palais des Papes, passant ainsi à côté de l’émotion authentique ressentie au contact de la beauté et des lieux chargés d’histoire. Surtout, je crains les accidents pour les enfants et les distraits : le casque isole vraiment des bruits environnants et l’on pourrait être absorbé dans la tablette au point de ne pas voir les escaliers qui jalonnent la visite.

Signalons enfin plusieurs pertes de connexion ou problèmes de synchronisation au cours des cinquante minutes environ qu’a duré la visite. Les utilisateurs les moins habitués à l’informatique en ont été déstabilisés, les autres, juste un peu agacés.

Laissons à cet ambitieux projet, qui met le numérique au service de la culture, le temps d’évoluer ! Visite à suivre, donc…